La jeunesse, le format et les rêves bleus


Retour en 2002. Format Standard Odyssey – Carnage – 7e Édition
.À l'époque, deux archétypes faisaient chavirer mon cœur :
Folie et
Psychatog. Oui, Psychatog : ce monstre de deck qui faisait baver tout le monde. Je l'observais comme on regarde une vitrine inaccessible ; puis, plus tard, je l'ai monté. Ce chapitre là, on y reviendra : je te raconterai comment j'ai assemblé ce deck coûteux, pourquoi il est devenu — et reste — le deck de ma vie.Mais avant ça, il y avait les rêves bleus et verts, ceux d'un deck qui ne trichait pas, qui gagnait par rythme, par pure cohérence. Qui n'a pas rêvé, à cette époque, devant les exploits des Mangouste agile de Raphaël Lévy ? Devant un Werebear
alias l'Elfes de Llanowar sous stéroïdes, ou prêt à tout donner pour une Arrogant Wurm flashé en fin de tour ?
Madness, c'était une école. Une manière d'apprendre à lire la partie, à sentir son tempo.Chaque tour posait une question :
Est-ce que je pose une bête pour mettre la pression, ou est-ce que je garde de quoi protéger les miennes ?
Est-ce que je défausse maintenant ou j'attends la fenêtre ?
C'était du jeu pur, presque musical. Une succession de petits choix qui, bien enchaînés, racontaient une victoire méritée. Et surtout de la compétitivité sans se ruiner (en dehors d'un carré de yavimaya coast, aucune rare sauf si tu voulais te ruiner pour un carré d'Oiseaux de paradis!!!!)
C'est là, je crois, que j'ai commencé à comprendre ce mot qui allait me suivre longtemps : tempo.
Mais pour l'heure, pas de créature : on commence par un sort.
L'histoire d'un cadeau d'anniversaire et d'un déclic
Je n'arrivais pas à mettre la main sur ces fichus Moment's Peace. À l'époque, j'avais quinze ans, pas de voiture, pas de CB, et Brive-la-Gaillarde (Non je ne suis pas Arcachonnais de naissance) n'était pas exactement la capitale du TCG. Ma seule oasis, c'était Cool Player, la boutique locale animée par le très bon Francis (salut à toi, si tu passes par là !).
Trouver un Squirrel Nest relevait parfois du miracle, alors imagine un playset d'une carte qui avait le vent en poupe...
Et puis vint ce fameux 12 août 2002, jour spécial pour au moins deux personnes : moi, et un certain futur président de la république qui ne m'a jamais livré de chocolatine ! On jouait au C.E.S de Brive, entre potes : Manu et son Atog, le grand Lionel et son Oppo, Pierre-François et son Rock, dans une ambiance digne d'une chanson de comptoir.
Et là, mon frère Vincent, alias « le frangin », lance sur la table quatre cartes en marmonnant un « bon anniversaire » avant de repartir, nonchalamment, sa très très grande marque de fabrique.
Il venait de m'offrir mon premier playset de Moment de Paix.
Construire sans Internet, attendre le Lotus Noir

Plutôt que de simplement profiter d'un deck enfin jouable, j'ai voulu comprendre, creuser, optimiser. À cette époque, il n'y avait ni netdecking, ni listes toutes faites sur Internet.
On attendait religieusement la sortie mensuelle du Lotus Noir, le magazine culte. C'était là qu'on découvrait, parfois des semaines après, les decks du moment, les idées folles, les combos improbables griffonnées en marge d'un reportage de tournoi. Mais comme a l'époque il n'y avait pas une sortie par mois, tu avais le temps de jouer d'expérimenter et de laisser vivre tes cartes sur une grosse période.
Chaque deck était un bricolage artisanal, un acte d'amour et d'expérimentation.
Le dénominateur commun : Calme Spéculation
Et c'est là que tout a changé.
À force de vouloir tirer le fil, de rejouer mes Analyse en profondeur, Appel du troupeau ou Rayon de révélation, j'ai fini par trouver le dénominateur commun à tout ce petit monde : Calme Spéculation.
Un rituel tout simple, presque anodin, mais qui a ouvert devant moi une porte immense.
À l'époque, c'était un peu le Vampiric Tutor du pauvre : un outil de bricoleur capable d'aller chercher dans ton cimetière les outils de ta survie, tes munitions de Flashback , tes bouées de secours.
Pas besoin de rare mythique ni de combo infinie : juste un esprit tordu, un peu d'encre sur du carton, et la joie de voir un deck prendre vie.
Je me souviens encore de cette sensation : celle de construire quelque chose d'unique, d'inédit.
C'était l'archéologie du deckbuilding, et Calme Spéculation en était ma pierre de Rosette.
Grâce à ce rituel, j'ai compris qu'un deck pouvait être plus qu'une addition de bonnes cartes : un système, une respiration, une idée.
Et quelque part, c'est peut-être ce jour-là que je suis vraiment devenu joueur.
Les années passent, les fogs restent
Plus de vingt ans après, mes Moments de Paix n'ont jamais quitté mes decks.
Ils dorment aujourd'hui dans mon Turbofog Pauper, un Format où chaque carte compte plus pour ce qu'elle raconte que pour ce qu'elle vaut.
Et quelque part, je crois qu'ils n'ont jamais été autant à leur place qu'aujourd'hui : au cœur d'un jeu qui célèbre la patience, la réflexion, et cette idée folle que tout peut encore tenir un tour de plus, juste un tour.
Ces quatre cartes, un peu fatiguées, un peu blanchies sur les bords, ont vu défiler des années, des formats, des joueurs.
Elles ont survécu à la rotation, à la folie du netdecking, aux proxies et même aux envies d'optimisation.
Elles me rappellent que, parfois, la vraie valeur d'une carte ne se mesure pas à sa rareté ni à son prix, mais au chemin qu'elle a parcouru avec nous.
Et si aujourd'hui je joue encore à Magic, c'est peut-être parce que, quelque part, un jour d'août 2002, quelqu'un m'a offert bien plus que quatre cartes : un peu de temps suspendu. Un moment de paix, au milieu de l'éternelle guerre des frères tout simplement. Aujourd'hui encore, je ne saurais pas vous dire lequel des deux est Urza ni lequel est Mishra !

Fin de tour, go.



Le 02/11/2025
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